Faux streams, vrai phénomène : le CNM, avec les professionnels pour lutter contre la fraude

Après plus de dix-huit mois de travail, le Centre national de la musique diffuse son étude sur la manipulation des écoutes sur les plateformes musicales, et plus précisément sur les streams considérés comme frauduleux, ou faux streams. Elle constitue la première étude au monde sur ce sujet, documentée et concertée.

communiqué 

Dans le cadre du débat parlementaire sur le projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique à l’été 2021, le Centre national de la musique s’est vu confier par la ministre de la Culture une étude sur la manipulation d’écoutes sur les services de musique en ligne.

Le CNM rend aujourd’hui public le résultat de ce travail, pour lequel l’ensemble des acteurs de la filière impactés par ces pratiques ont été sollicités : plateformes (Deezer, Spotify, Qobuz, Apple Music, YouTube, Amazon Music), producteurs et distributeurs (Universal, Sony, Warner, Believe, IDOL, Wagram), OGC (Sacem), organisations professionnelles (UPFI, SNEP, SMA, FELIN), éditeurs ainsi que des artistes, managers, avocats, médias, entreprises spécialisées sur ce sujet.

Définition du phénomène

La manipulation frauduleuse des écoutes en ligne peut être définie comme étant l’augmentation artificielle du nombre d’écoutes ou de vues, par des robots ou personnes physiques, dans le but de générer un revenu, d’améliorer la performance d’un titre dans les palmarès et/ou d’orienter un système de recommandation (playlists, recherche). L’étude caractérise différents types de manipulations des écoutes sur les plateformes de streaming et pointe certains risques associés :

  • Une forte augmentation du nombre de streams enregistrés sur une plateforme, sans augmentation proportionnelle du nombre d’abonnés payants, entraîne mécaniquement une baisse de la valeur unitaire d’un stream et donc de la rémunération des autres ayants droit.
  • Les consommateurs ont moins confiance dans ce marché pour leurs choix musicaux (impact sur la fiabilité des charts et la pertinence de la recommandation) ainsi que dans les systèmes de sécurité des plateformes et craignent de voir leurs comptes piratés.
  • Au-delà de l’effet sur l’image de l’artiste, les streams frauduleux perturbent les profils algorithmiques des artistes et affaiblissent les taux d’engagement réduisant ainsi la capacité de recommandation d’un artiste en fournissant des informations trompeuses, les faux utilisateurs ne se comportant pas comme les fans habituels.
  • Plusieurs professionnels de la filière indiquent qu’à présent, ils ne peuvent se fier aux seules performances des artistes sur une plateforme (pour signer un artiste en label, le programmer en concert ou en radio) et que cela entraîne un manque de confiance entre les acteurs et envers le marché.

Mobilisation des acteurs

Les plateformes interrogées dans le cadre de l’étude indiquent disposer des ressources technologiques nécessaires pour identifier la fraude mais utilisent chacune leur propre méthode de détection. Qobuz et Deezer appliquent leurs algorithmes de détection au niveau des comptes utilisateurs, ceci pouvant entrainer quelques « faux positifs » et Spotify l’applique au niveau projets – par titre, album, etc.

La mobilisation des acteurs sur le sujet est de plus en plus forte et certaines plateformes sont engagées sur ce sujet : Apple Music et Amazon Music indiquent avoir investi dans de nouvelles technologies et recruté une nouvelle équipe dédiée ; Deezer a développé une nouvelle version de son algorithme de détection ; Spotify développe des outils pédagogiques à destination des artistes et des labels.

Quelques distributeurs ont quant à eux développé des dispositifs d’alerte pour détecter des comportements anormaux sur leur catalogue mais, là aussi, la majorité des acteurs ne disposent pas des mêmes moyens de détection. Les ayants droit ont un accès limité aux données en comparaison aux plateformes, notamment sur les utilisateurs, mais ont l’avantage de pouvoir analyser les performances d’une plateforme à une autre.

Ampleur de la détection en 2021

A partir des données communiquées par Deezer, Qobuz, Spotify et un panel de distributeur (Universal, Sony, Warner, Believe et Wagram, représentant plus de 90% du top 10 000 Spotify et plus de 75% du volume de streams global réalisé sur Deezer), il a été possible d’établir que la part de streams détectés comme frauduleux en France s’élève entre 1% et 3% en 2021 sur les plateformes de l’étude, ce qui au regard des chiffres marché, représente entre 1 et 3 milliards de streams détectés comme étant frauduleux. Sur Deezer et Spotify, la fraude se situe à plus de 80% au niveau de la longue traine (en dessous du top 10 000), quand sur Qobuz le volume de fraude est davantage concentré sur les titres les plus écoutés.

Les streams détectés pendant la période d’essai des abonnements représentent entre 6 et 13% de la détection sur les plateformes ayant participé à l’étude. La fraude détectée provient majoritairement d’un ordinateur (65% sur Deezer et 31% sur Qobuz) et l’offre Famille concentre 54% des streams frauduleux détectés sur Deezer.

Sur les plateformes Spotify et Deezer, le genre le plus consommé sur le top 10 000, est le hip-hop/rap (plus de 50% sur Spotify et 40% sur Deezer). En termes de répartition, la majorité des streams frauduleux détectés proviennent donc de cette esthétique (respectivement 84,5% et 27,7%). Sur Deezer, la part de faux streams détectés est plus élevée sur les musiques d’ambiance (4,8%) et les titres non musicaux (3,5%). Cette tendance se confirme en observant les données des distributeurs.

Sur le top 10 000 Spotify (agrémenté par les données des distributeurs), 96% de la fraude détectée provient de la nouveauté et 93% du catalogue local. La part de streams frauduleux détectés sur les nouvelles sorties locales, s’élève à 0,46%. Sur le top 10 000 Qobuz elle est à 1,18% et 0,75% sur Deezer.

Certains entretiens qualitatifs mettent cependant l’accent sur l’ampleur de la fraude non-détectée et communiquent leurs inquiétudes :

  • Les méthodes utilisées par les fraudeurs évoluent et ne cessent de se perfectionner. Certains professionnels sont directement démarchés par des prestataires présentant leurs offres d’augmentation artificielle de streams.
  • Certains ayants droit et avocats ont évoqué la probabilité que cette pratique s’inscrive dans une stratégie de « blanchiment » de revenus issus d’activités illégales, voire criminelles.

Recours juridiques

Différents recours et voies de droit sont envisageables et ont été identifiés et détaillés au sein de l’étude, notamment en s’appuyant sur la caractérisation de comportements déjà prévus par la loi et susceptibles d’être sanctionnés : l’escroquerie, l’accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données (STAD), la pratique commerciale trompeuse au titre de la responsabilité pénale, la responsabilité délictuelle, le non-respect des conditions contractuelles ou des conditions générales d’utilisation, l’atteinte au droit des marques, la concurrence déloyale au titre de la responsabilité civile.

Toutefois, la principale difficulté d’ordre juridique réside dans le process de manipulation des streams où le commanditaire (acteur à l’origine de la demande de manipulation) est rarement identifié et identifiable.

Recommandations

Le CNM propose l’élaboration d’une charte interprofessionnelle de prévention et de lutte contre la manipulation des écoutes en ligne. Adopté par les acteurs de la filière de la musique enregistrée, ce document permettrait notamment d’arrêter une définition précise de ces pratiques et de sensibiliser tous les professionnels, jusqu’aux artistes, aux risques juridiques associés à ces manipulations et de formaliser et d’harmoniser des processus d’alerte, ainsi que des sanctions graduées.

De plus, dans la même logique et en étroite concertation avec l’ensemble des parties prenantes, le CNM propose de poursuivre le travail sur les données et méthodes de détections y compris en s’appuyant sur les compétences d’un tiers de confiance et d’étudier la possibilité de mise en place d’audits réguliers. En parallèle, un diagnostic de transparence des procédures des plateformes (détection, signalement, sanction) pourrait être mis en place en collaboration avec le Pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) du ministère de l’Economie et des finances. La Direction de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourrait être sollicitée afin de mettre en exergue les possibles dispositifs de répression existants à mobiliser, ou en définir de nouveaux, propres à la filière.

Afin de s’assurer de l’adaptation et de l’efficacité des mesures de prévention et de lutte contre les manipulations des écoutes envisagées, le CNM réunira un comité de suivi composé des professionnels impactés par ce phénomène et une nouvelle étude sera réalisée en 2024.

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